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Salonne et les quatre jeunes experts en AEV étaient déjà là. Osimiri, une grande blonde pétillante, accueillit Aphéa avec enthousiasme :
– Alors ça y est. Hoarau est au courant que tu es une ingénieure de la mort qui tue.
En commençant à enfiler sa combinaison, Aphéa répondit un peu honteuse :
– Ouais.
Salonne intervint :
– Mais ne fais pas cette tête.
– Elle est en colère contre moi, Salonne.
Atem, un jeune homme à la peau brune, s’esclaffa :
– Hoarau ? Tu plaisantes ? Elle te sera éternellement reconnaissante d’avoir sauvé son équipage.
Aphéa dit piteusement :
– Mais je lui ai menti.
Puis lançant des regards furtifs à ses collègues.
– Puis je vous ai trahi. Elle se doute maintenant que vous m’avez tous couverte.
Ses yeux bridés brillant de malice, Lux dit :
– Ça allait finir par se savoir, tu sais. Mais je n’aurais jamais deviné que ce serait de cette façon. Ça, c’est du rebondissement ! Tous les butineurs ne vont parler que de ça pendant des mois !
Salonne claqua des mains.
– Allez, les jeunes. On arrête de bavarder et on se concentre.
En réalité, aucun temps n’avait été perdu. Chacun enchaînait rapidement les gestes répétés d’innombrables fois. Cependant ils se conformèrent à l’injonction de leur aînée et s’imprégnèrent de la gravité de la situation. Une vague de fierté déferla en Salonne. Il les avait tous formés à mesure que ses collègues avaient pris leur retraite. Bientôt, ce serait à son tour de partir. Il devinait déjà la nostalgie qui le prendrait parfois, lorsqu’il serait installé confortablement sur Terre.
Une vingtaine de minutes s’étaient écoulées quand ils furent fin prêts. Pendant la dépressurisation, Salonne donna ses directives aux experts en AEV. Dès que le sas au plafond s’ouvrit sur l’extérieur, Aphéa sauta et passa l’ouverture, corps tendu. Elle atterrit sur la coque.
Émue comme à chacune de ses sorties, la jeune femme s’immobilisa une fraction de seconde. Les images de la plus sophistiquée des caméras ne pouvaient retranscrire ce que l’on ressentait face à Mercure. Rien n’obstruait la voute céleste qui n’était qu’espace. L’essence de son être était aspirée, dissoute dans ce néant. Un vertige délicieux prenait Aphéa. Il ne s’agissait pas du malaise paralysant face au vide, mais celui qui donnait envie de plonger dans le gouffre. Lorsque la jeune femme portait son regard sur la surface de la planète, un sentiment de puissance se déchaînait en elle. Dans ce royaume de feu et de froid, aucune vie ne persistait. Pourtant elle était là, vibrante d’émotion.
L’état de la Butineuse faisait peine à voir. Poussières et rochers jonchaient la coque. Les miroirs étaient griffés et balafrés. Les structures en métal arboraient des formes tordues et vrillées.
Transmise par les haut-parleurs dans son casque, la voix de Salonne s’adressant aux équipes AEV ramena la jeune femme à la réalité :
– Bien qu’imiter les acrobaties d’Aphéa soit tentant, je vous demande d’utiliser l’échelle.
Aphéa en sourit. Elle atteint le bord de la butineuse en quelques bonds. Après un court regard en contre-bas, elle fit un pas dans le vide. La légère gravité de Mercure la déposa doucement sur le sol rocheux. La Butineuse s’élevait très haut telle une cathédrale sans façade dont les pattes étaient les gigantesques piliers. Vissée dans le sol au centre, l’amarre avait les mêmes dimensions que les pattes. Aphéa s’avança jusqu’à elle, puis dit :
– Betty, descend le câble 8B, secteur 12.
Le filin arrivé, Aphéa s’y attacha. Pendant les 30 secondes qu’il fallut au câble pour la monter, la jeune femme configura son écran-casque. Plans et indications furent projetés sur la visière se superposant à ce qu’elle voyait. Dans un coin était affiché un compte à rebours. Il restait 3 heures 34 minutes avant l’arrivée du soleil. Une fois en haut, Aphéa s’adressa à l’ordinateur.
– Betty, je veux le Stabat Mater de Vivaldi, la version de Rinaldo Alessandrini.
Les voix du cœur s’insinuèrent en elle avec délice. Elle se mit au travail et en quelques secondes elle entra dans un état de concentration intense. Il n’y avait plus que ses mains plongées dans la mécanique et la musique grandiose. Salonne la rejoignit et l’assista comme il pouvait. Elle n’avait pas vraiment besoin de lui, mais il suivait le protocole. Personne ne devait rester seul pendant une AEV sauf cas exceptionnel.
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