Comme la nuit tombait, Gilles se décida à rentrer. Bientôt les sous-bois seraient trop sombres pour retrouver son chemin. La nuit serait sans lune. Il atteignit la clairière alors que les ombres s’allongeaient vers la petite cabane. Voilà déjà plusieurs mois qu’il y séjournait seul. Avant d’entrer, il démarra le groupe électrogène. Le bruit et l’odeur remplirent instantanément l’espace, repoussant la quiétude agréable de la nature environnante. Gilles grimaça et se réfugia à l’intérieur. Il alluma son ordinateur et reporta les résultats de ses recherches de la journée. Dans quelques jours, il aurait fini d’explorer la région Ouest entre le ruisseau Apika et la crête Dolée. Ces noms, Gilles ne les avait pas choisis. Il les avait trouvés dans les notes d’Henri.
Il faisait nuit noire, quand Gilles eut fini. Absorbé par son travail, il ne s’était pas rendu compte que l’habitacle n’était éclairé que par la lueur fantomatique de son écran. Il alluma les grosses lampes à l’huile, puis sortit éteindre le générateur abrutissant. Il accueilli le silence avec soulagement et délice. Il rentra se préparer à manger sur une vieille gazinière. Il aimait la lumière diffusée par les lampes à huile. Elle était chaude, dansante et ambrée. Cette lumière était vivante. Pas comme ces éclairages modernes blancs et immobiles.
Tandis que son repas mijotait, il compléta la grande carte de la région qu’il avait dessiné sur le mur libre de sa cabane. Les contours des reliefs étaient dessinés en noir. Chaque soir à son retour, il recouvrait en bleu les zones qu’il avait parcourues. Il y ajoutait des points rouges là où il pensait avoir trouvé d’éventuels signes de ce qu’il cherchait. Tout cela, il l’avait déjà reporté plus en détail sur son ordinateur. Mais les engins de la technologie moderne ne pourraient jamais remplacer le charme d’une carte faite à la main déployée devant lui.
Il mangea son repas assis dans un vieux canapé face à la carte. Il la scrutait encore et toujours laissant vagabonder ses pensées. Comme chaque soir, il se replongea dans les souvenirs de la rencontre qui avait bouleversé sa vie quelques années auparavant. Il se rappela son émoi quand il avait compris être amoureux d’Henri, un homme. Il repensa à son impassibilité, lorsque son amant lui dit enfin d’où il venait. Au fond il l’avait su dés le début.
Il était bien douloureux de se remémorer la fin de leur histoire. Un bruit de klaxon puis une violente collision, la lumière des gyrophares et le son des sirènes dans la nuit, l’éclat du métal fracassé et l’odeur de l’essence répandu sur la route. Et ces dernières paroles faibles, presque suppliantes : « Retrouve-les » … Bien sûr, il avait tourné et retourné cette soirée des centaines de fois dans sa tête. Sans répit, il s’était demandé ce qu’il aurait dû faire ou ne pas faire pour que le drame n’arrivât jamais. Mais voilà c’était arrivé et il ne pouvait rien y changer.
Souvent il se disait que même s’il échouait dans sa quête, sa retraite dans ces montagnes boisées lui aurait permis de retrouver sa tranquillité d’esprit. Il soupçonnait Henri d’avoir formulé cette dernière volonté en partie dans ce but.
Repu, il alla se coucher et sombra rapidement dans le sommeil épuisé par des heures de marche. Le lendemain, il se leva prestement. En s’habillant après une toilette de chat, un frisson d’excitation et d’appréhension l’envahit. Aujourd’hui peut-être il trouverait le peuple de l’homme qu’il avait aimé.
J’ai écrit cette courte nouvelle dans le cadre de l’atelier d’écriture du blog mil et une. Chaque semaine, une photo est publiée avec un mot. Il faut donc écrire un texte inspiré de l’image et y intégrer le mot. Ici le mot était klaxon et l’image était la suivante:
Toujours beaucoup d’imagination, et le mot »klaxon » est intégré à ton texte avec une bonne continuité dans l’histoire.
Merci! Le mot klaxon m’a même aidé à construire le personnage et son passé.
Ce texte m’a captivé par la « douceur » de ton écriture et sa fluidité. Tes descriptions sont très sensitives et j’aurais pu sentir l’odeur des lampes à huile. Et l’intrigue, que l’on découvre peu à peu, nous scotche très vite et la fin nous frustre d’u plaisir qui commençait à s’installer. Tu as, dans cette nouvelle, assurément démontré que tu avais un style d’écriture singulier qu’il te faudra garder et développer dans tes futurs écrits.
A la lecture de ces trois nouvelles, je ne peux que t’encourager dans ton projet d’écriture. Je suis sur, par exemple, que l’histoire d’Henri ferait un excellent incipit pour un roman.
Merci pour ces jolis compliments et encouragements. Ils font chaud au cœur.
Et tu n’es pas le seul à demander la suite des aventures de Gilles (j’en suis moi-même curieuse) 😉 Mais écrire cette suite serait prendre le risque de transformer la frustration exquise que suscite ce texte en espoirs déçus. Je ne suis pas encore décidée 🙂
Bon alors. À quand la suite.